Chrétien et politique…
Ces dernières années ont été marquées par un vif intérêt au sein du courant protestant évangélique
1 pour l’implication des chrétiens dans la société. Engagement social, éthique, oui ! mais l’engagement des chrétiens en politique interroge toujours. Cette notion soulève parfois les passions et génère souvent un malaise diffus.
La question est donc bel et bien ouverte, plus que jamais. Les échéances nationales de 2007 vont donner du grain à moudre à tous ceux qui s’intéressent à la question, si j’en crois les publications et sondages qui s’annoncent.
Un évolution heureuse
Pourtant, il y a encore peu de temps, c’est une réaction de rejet que manifestaient certains chrétiens face à la chose politique. Cela provient à mon sens de plusieurs facteurs. En voici quelques-uns :
Une certaine conception de la politique qui ne perçoit que la dimension de lutte ou d’exercice pour le pouvoir avec ses pratiques partisanes.
Une certaine vision du monde marquée par le retrait « être dans le monde sans être du monde » a donné lieu à des interprétations contrastées et à une certaine eschatologie qui a nourri un réel pessimisme et renforcé la fuite.
Le fruit amer de toute cela a été l’enfermement de la portée de l’Evangile dans la sphère privée, mettant l’accent exclusivement sur la dimension personnelle du salut. L’Evangile a alors perdu sa capacité de transformation sociale. Cette notion même est devenue suspecte.
Cependant, il y a eu une nette évolution des mentalités sur ce point et c’est heureux…
Selon beaucoup d’observateurs, la déclaration de Lausanne2 a marqué un réel tournant dans l’approche de cette problématique. Un extrait de l’article 5 intitulé « Responsabilité sociale du chrétien » suffit pour s’en persuader :
« Nous affirmons que Dieu est à la fois le Créateur et le Juge de tous les hommes; nous devrions par conséquent désirer comme lui que la justice règne dans la société, que les hommes se réconcilient et qu’ils soient libérés de toutes les sortes d’oppressions.(…) Là aussi nous reconnaissons avec humilité que nous avons été négligents et que nous avons parfois considéré l’évangélisation et l’action sociale comme s’excluant l’une l’autre. La réconciliation de l’homme avec l’homme n’est pas la réconciliation de l’homme avec Dieu, l’action sociale n’est pas l’évangélisation, et le salut n’est pas une libération politique. Néanmoins nous affirmons que l’évangélisation et l’engagement socio-politique font tous deux partie de notre devoir chrétien. Tous les deux sont l’expression nécessaire de notre doctrine de Dieu et de l’homme, de l’amour du prochain et de l’obéissance à Jésus-Christ. Le message du salut implique aussi un message de jugement sur toute forme d’aliénation, d’oppression et de discrimination. »
Le lien entre évangélisation et engagement socio-politique est ici clairement affirmé.
Une conception de la politique plus mature et plus positive a été présentée par le théologien anglais John Stott : « au sens large, la politique concerne la vie de la cité (polis) et les responsabilités des citoyens (polites). Elle vise tous les aspects de la vie de la société humaine. La politique est l’art de vivre ensemble dans une société donnée. Au sens restreint, la politique est la science du gouvernement ; elle concerne l’élaboration et l’adoption de lignes politiques précises dans le but de les voir s’inscrire dans la législation. » En partant de là, il déduit que tout l’engagement de Jésus comportait une dimension politique. « Le Royaume de Dieu qu’il annonçait et qu’il a inauguré représentait une réalité sociale entièrement neuve et radicalement différente ».
En allant plus loin, John Stott distingue service social et action sociale. Le service social consiste à soulager la misère sociale et humaine sur tous les plans, l’action sociale s’apparente plus à l’action politique dans le sens où elle vise la « suppression des causes de la souffrance et la transformation des structures sociales »3. Il affirme que le service social dans lequel les chrétiens sont volontiers engagés doit nécessairement conduire à l’action sociale.
On attend ce « passage » avec impatience.
On s’intéresse aussi de plus en plus au développement d’une vision biblique du monde. La notion de Royaume de Dieu, fondée sur la souveraineté de Dieu sur toute la création, conduit de en plus en plus de croyants à porter un regard différent sur le monde : puisque le projet rédempteur de Dieu concerne la création dans sa globalité, aucun domaine de la création ou de la vie humaine ne peut être considéré comme mauvais. Tout réconcilier avec lui-même4, c’est l’intention de Dieu.
L’article 5 de notre credo5 affirme : « Toutes les sphères de la société humaine (économie, politique, éducation, familiale, sociale) sont appelées à être renouvelées et transformées par la manifestation du Royaume de Dieu. La vision du Royaume de Dieu nous engage à vivre pleinement notre double citoyenneté, céleste et terrestre, sans aucune rupture, mais en réelle harmonie, que ce soit dans nos engagements professionnels, associatifs ou politiques. »
Quant à l’approche eschatologique, l’espérance que nous proclamons est bien celle d’une nouvelle terre et de nouveaux cieux où la justice habitera6. La terre renouvelée sera en effet l’habitat particulier de l’humanité rétablie. Le salut futur n’est pas une existence désincarnée dans un ciel abstrait. La réalité des nations ne sera pas abolie, la notion de ville et de gouvernement non plus.
Il est temps de remettre à l’honneur ces affirmations bibliques, non pour nourrir un désir de fuite, mais pour nourrir au contraire notre citoyenneté terrestre!
Un fondement plus que millénaire
Il suffit de quelques rappels pour renforcer la portée politique du message biblique. Mis côte à côte, ils devraient souligner l’évidence de notre sujet.
Dans l’Ancien Testament, Dieu conduit l’histoire des nations, intervient dans la politique intérieure, prononce et met en œuvre ses jugements en fonction de la justice sociale, appelle des hommes à occuper des fonctions politiques de haut niveau, envoie ses prophètes pour interpeller les gouvernants sur leur manière de diriger les nations. Sans ignorer le passage à la Nouvelle Alliance, en quoi cette préoccupation et cet engagement de Dieu auraient-ils changés ?
La portée «politique » du message de Jésus est incontournable, comme nous l’avons déjà souligné. Plutôt que de s’en tenir à une interprétation approximative du fameux « rendez à César ce qui est César et à Dieu ce qui est à Dieu », selon laquelle la foi en Dieu n’aurait aucun rapport avec le domaine politique, examinons entre autres exemples l’enseignement de Jésus sur l’autorité7. Le cadre de référence choisi par Jésus est celui des nations et des tyrans. C’est une critique radicale de toute dictature qui nous est présentée ici, avec l’appel à vivre selon des valeurs nouvelles du Royaume de Dieu, marquée par l’esprit de service. L’enseignement de Jésus est ancré dans l’actualité sociale et politique de son temps. Il appelle les disciples à mettre en œuvre une nouvelle façon de concevoir et d’exercer l’autorité, et ce faisant, il nous indique que la vie de l’église doit aussi interpeller les politiques.
Le vivre ensemble, enjeu de toute politique, est certainement le cœur du message du Christ. Il est vraiment étonnant que la portée politique de son enseignement nous ait si longtemps échappé.
La responsabilité du chrétien concernant la prière pour les autorités8, ne peut pas non plus être interprétée comme un exercice spirituel au sens limité : la prière doit viser clairement la paix de la nation. Comment imaginer que la paix recherchée ne comporte pas aussi une dimension sociale, politique ? De quel type de prière s’agit-il donc ? Seule une prière informée des enjeux et des conditions de la paix, s’attaquant aux obstacles et aux menaces divers qui se dressent sur la route de toute nation peut répondre à cet appel. Ceci pose la question de la conscience politique du monde chrétien. Je crois que nous sommes seulement au début d’un processus au cours duquel nous allons assister à une prise de conscience du besoin de formation aux questions.
La politique, une vocation ?
La déclaration du réseau politique d’ID2R9 évoque aussi la notion de vocation du chrétien en matière politique. Les dons de Dieu à l’homme ne se limitent pas au domaine ecclésial ou artistique. Le champ dans lequel sont plantés les fils du Royaume, c’est le monde10. Nous devons reconnaître et accompagner ceux qui sont appelés à servir Dieu dans l’engagement politique. Ils méritent l’attention et la prière de l’église.
Nous sommes alors placés devant le défi d’une pensée chrétienne en matière politique. Aujourd’hui, un nombre croissant de gouvernants de par le monde fait état d’un engagement chrétien, évangélique très souvent. Sans porter de jugement de valeur sur les personnes, force est de constater le manque trop fréquent d’une vision biblique du monde et d’une politique qui repose sur des fondements bibliques, au-delà des options partisanes. Je ne pense pas qu’il y ait une politique chrétienne au sens absolu, mais je crois à des présupposés et des valeurs fondamentales qui doivent inspirer les chrétiens en politique, quels que soient les bords auxquels ils appartiennent. Une pensée chrétienne en matière politique devrait mettre en avant ces fondements de manière claire. John Stott définit à sa façon ce qu’est une pensée chrétienne, c’est une pensée « formée, entraînée pour analyser les données de la controverse avec le sécularisme dans un cadre de références s’appuyant sur des présupposés chrétiens11 ». Nous avons besoin de creuser profondément les Ecritures avant de pouvoir proposer un projet et de vouloir contribuer à construire une maison-nation qui résistera aux assauts des tempêtes en tous genres.
Il me semble que nous sommes là aussi au tout début d’un processus nécessaire.
En conclusion
« L’Evangile représente une force très puissante de réforme de la société »12 proclamait Charles Finney, célèbre revivaliste du 19ème siècle. Beaucoup de chrétiens ne l’attendaient pas sur ce terrain-là, lui l’ardent défenseur de la sanctification. Son propos demeure d’actualité au 21ème siècle. A nous de le prendre au sérieux !
Jean-Marc POTENTI.
1 Note : cet article se situe dans une perspective protestante évangélique ; l’acception du terme « église » est à prendre dans ce sens. Beaucoup de remarques sur l’église ne concernent pas l’Eglise dans son ensemble.
5 – www.id2r.org rubrique credo
9 – www.id2r.org Rubrique Réseaux/politique
Some text here...